L’art des premiers instants : magie de l’incipit

L’incipit. Les premiers mots, la première phrase, le premier paragraphe de toutes ces histoires que nous dévorons. Vous y faites attention ? Je l’avoue, pour ma part, très peu : je passe très vite à autre chose, à la suite, aux aventures et aux émotions qui arrivent avec les mots suivants, les phrases et paragraphes suivants.

Pourtant, cet incipit a une importance capitale : c’est lui qui donne le ton. Il place un genre, un univers, une narration, un personnage. Il doit nous happer, cristalliser ce que sera le reste du livre tout en créant en nous l’envie irrépressible de continuer, sans quoi on ne se pose même pas de question, on repose tout simplement le livre pour ne plus le reprendre. C’est placer beaucoup de poids sur si peu de mots, pas vrai ? Tout repose sur eux, et je n’imagine même pas la difficulté que ça doit être de les écrire, de trouver la formulation parfaite…

Aujourd’hui, j’ai envie de mettre en lumière ces débuts de roman que j’ai aimés, de revenir sur ces incipits qui ont donné suite à certains de mes romans préférés, et à d’autres qui m’ont énormément marquée ; et qui sait, peut-être vous donneront-ils envie d’en découvrir la suite…

Dans un trou vivait un hobbit. Ce n’était pas un trou déplaisant, sale et humide, rempli de bouts de vers et d’une atmosphère suintante, non plus qu’un trou sec, nu, sablonneux, sans rien pour s’asseoir ni sur quoi manger : c’était un trou de hobbit, ce qui implique le confort.

Le Hobbit, de J.R.R. Tolkien – Le Livre de Poche, 2009

Par un après-midi de beau temps doux et ensoleillé, si j’ai envie de voir M. Amber, il me suffit de le chercher des yeux au milieu des bancs alignés le long des arbres qui bordent le jardin sur l’arrière. Il est assis en plein soleil sur celui qui n’est pas ombragé par les branchages. Dos osseux arrondi, tête légèrement penchée, il reste immobile, son oeil gauche orienté vers la lumière.

Instantanés d’Ambre, de Yôko Ogawa – Babel, 2020

Mr Taupe avait travaillé très dur toute la matinée pour le grand nettoyage de printemps de son petit logis. D’abord avec des balais et des torchons ; puis, grimpé sur des escabeaux, des marches et des chaises, avec une brosse et un seau rempli de blanc de chaux, tant et si bien qu’il avait de la poussière plein les yeux et la gorge, des éclaboussures de neige sur son pelage noir, les bras rompus de fatigue et le dos douloureux.

Le Vent dans les Saules, de Kenneth Grahame – Éditions Phébus, 2006

Dans un ensemble lointain de dimensions récupérées à la casse, dans un plan astral nullement conçu pour planer, les tourbillons de brumes stellaires frémissent et s’écartent…
Voyez…
La tortue la Grande A’Tuin apparaît, elle fend d’une brasse paresseuse l’abîme interstellaire, ses membres pesants recouverts d’un givre d’hydrogène, son antique et immense carapace criblée de cratères météoriques. De ses yeux vastes comme des océans, encroûtés de chassie et de poussière d’astéroïdes, Elle fixe le But Ultime.

La Huitième Couleur, de Terry Pratchett – L’Atalante, 1996

C‘est étrange, d’écrire ces premiers mots, comme si je me penchais par-dessus le silence moisi d’un puits, et que je voyais mon visage apparaître à la surface de l’eau – tout petit et se présentant sous un angle si inhabituel que je suis surprise de constater qu’il s’agit de mon reflet.

Dans la forêt, de Jean Hegland – Gallmeister, 2018

Elle a lâché ma main. Elle a même pas attendu que la bagnole de maman ait tourné au coin de la rue. Je regarde ce qu’il reste de son profil sous le poids des cheveux. Elle est devenue tape-à-l’œil cet été. Mal maquillée, colo ratée. Elle a pas dit pourquoi elle m’a lâché la main. Pas besoin ; je pige. Je pige depuis toujours.

Ici et Seulement Ici, de Christelle Dabos – Gallimard Jeunesse, 2023

Et vous, quels sont vos incipits favoris ? Préférez-vous ceux qui vous plongent dans l’action ? Ceux qui vous dévoilent une ambiance, un univers ? Ou ceux qui vous surprennent et vous donnent furieusement envie d’en savoir plus ?

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