7e Art, pop-corn et Grands Anciens

Les Annales du Disque-Monde : Les Zinzins d’Olive-Oued,
de Terry Pratchett


Inlassablement – mais encore beaucoup trop lentement à mon goût – je progresse dans ma lecture chronologique des Annales du Disque-Monde. Voici maintenant le premier tome du cycle du Progrès, qui se démarque non pas par un groupe de personnages récurrent (même si une nouvelle tête devrait bientôt faire son apparition), mais par les thématiques qu’il aborde : dans chaque tome, l’arrivée sur le Disque d’une innovation technique ou technologique se trouve confrontée à la logique très particulière de ce monde, et soulève des questionnements passionnants vis-à-vis de nos propres sociétés contemporaines.

J’avais déjà lu ce tome des Zinzins d’Olive-Oued il y a des années, et j’en gardais le souvenir d’une excellente lecture, ce qui fut de nouveau le cas. J’aime particulièrement le mélange des références que propose ici Pratchett, entre histoire du cinéma et classiques du fantastique, où la frénésie qui accompagne l’apparition du 7e art enfle inexorablement, jusqu’à devenir une force presque lovecraftienne, fascinante et effrayante… L’appel du succès, l’envie de gloire, la fièvre des étoiles se font toujours plus pressants, prenant complètement possession des protagonistes ; le grandiose et le monstrueux se mêlent pour ne faire plus qu’un. C’est un processus captivant, d’autant plus lorsqu’on y ajoute ce petit « grain de sel du Disque-Monde », et j’ai adoré y assister !

Par certains aspects, ce tome-ci se rapproche de Trois Sœurcières, car l’auteur s’y amuse beaucoup avec la notion de réalité. Ici, à Olive-Oued, on ne raconte que des histoires, quitte à jouer sur les apparences pour les rendre plus que vraies ; mais qu’en est-il alors de la vraie réalité, celle qui rôde depuis toujours et qui serait prête à tout pour être reconnue ? Et puis, j’ai trouvé que transparaissait ici une vraie tendresse pour cette magie des premiers cinémas, avec ses trucages faits-maison, ces effets spéciaux tout sauf crédibles, mais auxquels on choisit de croire quand même pour que vive le film… Encore une fois, il s’agit d’un tome où Pratchett montre toute la finesse de sa pensée et de sa narration. Il a une vision très pertinente et toute en nuance de nos sociétés, et j’ai beaucoup aimé ce qu’il faisait ici du cinéma et de ce que cet art a apporté au monde.

Si le cycle des Sorcières demeure mon favori, il se peut que celui-ci, où Terry Pratchett semble développer tout son talent d’observation et d’analyse de nos sociétés, ne se place pas très loin derrière… Et vous, avez-vous déjà découvert ce cycle-là ? Qu’en pensez-vous ? Pour ma part, j’ai hâte, très hâte de découvrir les tomes suivants du Progrès !

Petits meurtres et mailles endroit au cœur du Cantal

L’effervescence est à son comble à La Grenouille, le bar-épicerie où se retrouvent les membres du Tricot-Club de Valuéjols, charmant village cantalien au coeur de la planèze de Saint-Flour.
La cause de l’émoi : un projet de carrière à ciel ouvert qui défigurera ce magnifique coin de campagne. Tout est suspendu au rapport d’un expert en hydrologie venu étudier les lieux. Mais de rapport il n’y aura point : l’expert meurt empoisonné à la maison d’hôtes où il avait pris ses quartiers ! Les suspects sont nombreux – au moins autant que la maison d’hôtes compte de résidents – et l’enquête piétine, au grand dam de Joséfa, la femme de ménage de la résidence, bien placée pour connaître certains inavouables petits secrets…
Décidée à démasquer le coupable, Joséfa ne sait pas qu’elle met sa vie en péril. Heureusement, ses complices du Tricot-Club veillent au grain…
~ Les petits meurtres du tricot-club, tome 1 : Un hôte bien encombrant, de Sylvie Baron – Calmann Lévy
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Entre deux romans plus denses, après une lecture moins convaincante, ou encore au milieu d’une période plus compliquée, il est une valeur sûre vers laquelle je me tourne régulièrement : le cosy mystery ! Je n’y avais pas mis les pieds depuis un petit moment et celui-ci m’est tombé dans les mains, je l’ai dévoré sans tarder.

La promesse de cette nouvelle série était d’ailleurs particulièrement convaincante. Pensez donc, de l’enquête et du tricot, le tout dans une petite ville en pleine ruralité cantaloupe, on cochait toutes les cases ! Et pourtant, malheureusement, ce ne fut qu’une bonne lecture, sans plus.

L’atmosphère est agréable et chaleureuse, les personnages sympathiques. On nous en présente toute une galerie assez haute en couleurs, dont les membres du fameux tricot-club, mais pas uniquement : la femme que l’on suit en particulier est avant tout employée au gîte local, et ses plus proches partenaires d’enquête sont principalement propriétaires du bar et du restaurant de la ville. Finalement, les réunions de tricot sont assez lointaines, et peu pertinentes dans l’avancée de l’enquête. Les protagonistes demeurent intéressants, et j’ai aimé la dynamique de leurs relations, mais côté laine et aiguilles, j’ai été déçue. Dommage.

L’intrigue, quant à elle, fonctionne bien. Les petites révélations arrivent de manière régulière, réorientant à chaque fois la piste du crime. Bien entendu, la conclusion n’aurait pas pu être devinée à l’avance au vu des éléments dont on dispose à l’origine, mais ça n’a rien de surprenant pour du cosy mystery : une toute petite pointe d’invraisemblance fait justement partie de l’ADN du genre ! En outre, j’ai aimé que l’autrice aborde le sujet des écosystèmes locaux, très spécifiques et pourtant primordiaux à conserver.

Si je ne garderai certainement pas un souvenir impérissable de cette enquête, j’y ai pourtant passé un moment plutôt agréable. Une fois passée la déception d’un tricot-club plus qu’anecdotique, l’intrigue maintient suffisamment d’intérêt et se lit assez rapidement. Et vous, avez-vous découvert cette nouvelle série de cosy mystery ? Quelle nouvelle série avez-vous débutée récemment ?

Lentement naviguer vers le Nord, en suivant les Sentiers des Astres

Quelque part dans la nordique forêt du Vyanthryr, les gabarres du capitaine Rana remontent le fleuve vers les sources sacrées où réside le Roi-diseur, l’oracle dont le savoir pourrait inverser le cours de la guerre civile. À bord, une poignée de guerriers prêts à tout pour sauver leur patrie. Mais qui, parmi eux, connaît vraiment le dessein du capitaine ? Même le Barde, son homme de confiance, n’a pas exploré tous les replis de son âme. Et lorsque les bateliers recueillent un moribond qui dérive au fil de l’eau, à des milles et des milles de toute civilisation, de nouvelles questions surgissent. Qui est Le Bâtard ? Que faisait-il dans la forêt ? Est-il un danger potentiel, ou au contraire le formidable allié qui pourrait sauver l’expédition de l’anéantissement pur et simple ?
~ Les Sentiers des Astres, tome 1 : Manesh, de Stefan Platteau – Les Moutons Électriques
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Celui-là, je l’ai découvert il y a déjà deux ans, et il m’avait alors profondément marquée. Et puis le temps a passé, je n’ai pas continué avec le tome 2 immédiatement, et maintenant que l’univers m’appelle de plus en plus fort, il m’a fallu redécouvrir d’abord le premier : si les sensations demeurent, les événements avaient complètement disparu de ma mémoire !

Je l’ai découvert en audio la première fois, et j’ai réitéré l’expérience pour cette deuxième découverte. C’est, pour moi, un roman idéal pour ce format, sublimé par la narration à voix haute du personnage principal, qui alterne entre le périple qu’il partage avec ses compagnons de voyage et le récit de Manesh, personnage énigmatique à la destinée si singulière… À voix haute, la magnifique plume de l’auteur prend des accents de légendes ancestrales, et ce fut pour la deuxième fois un voyage absolument captivant que celui de cette remontée du fleuve.

Une fois encore, j’ai également adoré l’univers mis en place, infusé de vénérations anciennes, de civilisations disparues et de racines mythiques profondément enfoncées dans les entrailles du monde. Par son langage aussi poétique que cru, par ses paysages tantôt oniriques et tantôt glaçants, l’auteur dépeint un univers d’une beauté incomparable et d’un réalisme marquant, dont on pressent une densité encore à peine effleurée. Quels secrets seront encore révélés par les événements des tomes suivants ?

Si ce sont avant tout le style et l’univers de l’auteur qui m’ont tant touchée et que je garde précieusement en mémoire, l’intrigue n’est pas en reste ! Elle suit le rythme lent des gabarres qui remontent le fleuve, vers ces légendes anciennes dont se dessinent peu à peu les contours. Deux récits se donnent la parole tour à tour : celui du groupe qu’une mission envoie sur la piste du Grand Nord, et celui de l’homme étrange trouvé flottant sur une branche. Les événements avancent au pas, apportant une atmosphère d’autant plus hypnotique au récit ; et pourtant les secrets se dévoilent un à un, les réponses arrivent… pour n’engendrer que davantage de questions.

Ce fut donc, encore une fois, une lecture qui m’a happée, qui m’a prise aux tripes, et qui ne m’a toujours pas vraiment quittée… Cette fois-ci je ne tarderai pas pour découvrir (en audio bien sûr) le deuxième tome de cette sublime épopée des Sentiers des Astres ; et si c’est un voyage que vous n’avez pas encore tenté, je ne peux que vous conseiller chaleureusement de vous mettre en route.

Magouilles à Camorr : Les Mensonges de Locke Lamora

On l’appelle la Ronce de Camorr. Un bretteur invincible, un maître voleur. La moitié de la ville le prend pour le héros des miséreux. L’autre moitié pense qu’il n’est qu’un mythe. Les deux moitiés n’ont pas tort. En effet, de corpulence modeste et sachant à peine manier l’épée, Locke Lamora est, à son grand dam, la fameuse Ronce. Les rumeurs sur ses exploits sont en fait des escroqueries de la pire espèce, et lorsque Locke vole aux riches, les pauvres n’en voient pas le moindre sou. Il garde tous ses gains pour lui et sa bande : les Salauds Gentilshommes. Mais voilà qu’une mystérieuse menace plane sur l’ancienne cité de Camorr. Une guerre clandestine risque de ravager les bas-fonds. Pris dans un jeu meurtrier, Locke et ses amis verront leur ruse et leur loyauté mises à rude épreuve. Rester en vie serait déjà une victoire…
~ Les Mensonges de Locke Lamora, de Scott Lynch – Bragelonne
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Lui, ça faisait un moment qu’il était là. Probablement depuis sa sortie dans la collection “10 ans” de Bragelonne, au moment où ce titre m’a tapé dans l’oeil : en 2016… Comme quoi, des fois, une pile à lire, ça permet aux livres de maturer, aux envies de lecture de faire tout un cycle avant de revenir avec nostalgie sur ces “vieux titres” qui nous faisaient envie il y a si longtemps, alors qu’on était encore une autre personne… Bref, tout ça pour un bilan simple : Les mensonges de Locke Lamora est enfin sorti du fond de mes étagères, et j’ai adoré !

On retrouve ici une idée que je me surprends à aimer de plus en plus, autant dans mes lectures qu’en films et séries : l’idée du coup, du casse du siècle. Un groupe de potes mal assemblé, mélange de têtes brûlées et de rebuts revanchards ; une idée, l’idée du siècle, l’idée ultime, et l’élaboration d’un plan, pendant des semaines, des mois des années ; les moindres détails sont peaufinés, chacun apprend son rôle par coeur, jusqu’au moment crucial où tout entre en action : impossible de revenir en arrière, quoi qu’il se passe, il faut aller jusqu’au bout !

Cette atmosphère particulière, bourrée d’une adrénaline qui me plaît beaucoup, c’est le lot quotidien des personnages que l’on retrouve ici. Avec un rythme de narration typique du genre, alternant entre le déroulé de l’action étape par étape et des retours en arrière sur la préparation du plan, le roman nous présente une troupe attachante de personnages. De gamins des rues et orphelins, on entrevoit leur évolution au fil des années, jusqu’à ce qu’ils deviennent les seigneurs malfrats, les Salauds Gentilshommes que l’on rencontre dès les premières pages. Nous sont alors dévoilés des personnages tout en nuances et follement attachants !

Côté univers, j’ai là aussi été absolument conquise. Alors que l’intrigue avance, on découvre Camorr, cité aux airs de Venise un peu poisseuse, où brille l’art de l’alchimie, et où règnent entre les clans une hiérarchie et des règles bien établies mais que l’on aime tant à contourner… Coloré et flamboyant, sans pitié mais rempli de panache, c’est le théâtre idéal pour l’intrigue effrénée qui se déroule entre les pages. Retournements de situation, révélations et rebondissement en pagaille s’enchaînent sans répit, cerise sur le gâteau de cette lecture qui fut absolument captivante !

Je vous conseille donc chaleureusement de découvrir cet univers sans tarder, on y passe de très bons moments de lecture ! Et vous, avez-vous déjà rencontré les Salauds Gentilshommes ?

Halte au grabuge, le Guet est là !

Une société secrète d’encagoulés complote pour renverser le seigneur Vétérini, Patricien d’Ankh-Morpok, et lui substituer un roi. C’est sans compter avec le guet municipal et son équipe de fins limiers. Enfin une affaire à la mesure du capitaine Vimaire, alcoolique frénétique, et de ses non moins brillants adjoints. Et lorsque l’on retrouve au petit jour dans les rues les corps de citoyens transformés en biscuits calcinés, l’enquête s’oriente résolument vers un dragon de vingt-cinq mètres qui crache le feu ; on aurait quelques questions à lui poser. Peut-être la collaboration du bibliothécaire de l’Université ne serait-elle pas inutile. Certes, à force de manipuler les grimoires de la plus vaste collection de livres magiques du Disque-monde, il a depuis quelque temps été métamorphosé en singe, mais qui a vraiment remarqué la différence ?
~ Les Annales du Disque-Monde, tome 8 : Au Guet !, de Terry Pratchett – L’Atalante
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Quel bonheur, après déjà un certain nombre d’années à naviguer les eaux du Disque-Monde (enfin, randonner serait plus exact dans le cas de l’Ankh), de découvrir encore de nouveaux personnages et d’entamer un cycle qui m’est pour l’instant encore inconnu ! Habituellement moins attirée par les intrigues policières, j’avais jusqu’à présent laissé un peu le Guet de côté, et je peux maintenant savourer pleinement cette entière découverte.

Il me semble pourtant avoir déjà croisé certains des membres du Guet dans d’autres tomes, le capitaine Vimaire par exemple, ou encore le fameux Chicard que précède dans tout Ankh-Morpork son odorante réputation. Ce fut néanmoins l’occasion de les suivre de plus près, et d’en découvrir davantage de nuances : le Vimaire désabusé en qui scintille encore une étincelle de foi pour les habitants de la capitale et leur résilience à toute épreuve, le Chicard à priori humain (le doute subsiste) et le sergent Côlon dont le courage fait surface avec éclat le moment venu… Sans oublier Carotte, la dernière recrue, colossal nain aux tendances exemplaires, que je regrette cependant de n’avoir pas vu davantage au long de l’intrigue. Par contre, j’ai été ravie de voir apparaître le Bibliothécaire, qui apporte toujours une belle valeur ajoutée à n’importe quel roman du Disque-Monde !

Côté intrigue, j’ai bien aimé l’aspect policier, finalement peu marqué dans le déroulement de l’enquête et l’investigation menée par les personnages, mais bien présent dans le mystère qui s’épaissit puis s’éclaircit au fil des pages. Je me suis amusée à imaginer l’identité des énigmatiques personnages encapuchonnés (pour au final être complètement surprise par la révélation), dont j’ai d’ailleurs beaucoup aimé chacune des scènes, formant une glorieuse parodie de société secrète aux rites aussi ténébreux qu’absurdes. Cerise sur le gâteau, Pratchett saupoudre l’ensemble de dragons, proposant de la créature légendaire une interprétation prodigieuse comme il sait si bien les faire…

Ce fut donc encore un excellent moment passé entre les pages du Disque-Monde, avec cette fois-ci la satisfaction supplémentaire d’avoir ouvert la porte d’un nouveau cycle. Je ne sais pas dans combien de tomes revient le Guet d’Ankh-Morpork, mais je suis déjà très curieuse de le voir se développer, et de faire plus ample connaissance avec Carotte et ses comparses !

Tourisme (et plus si affinités) au pied des Pyramides

Teppicymon XXVII est mort et il a un peu de mal à se faire à cette idée. Même s’il respecte le professionnalisme des embaumeurs, voir ces sympathiques artisans plongés jusqu’aux coudes dans vos entrailles a quelque chose qui vous remue les tripes. Son fils va lui succéder et lui aussi a quelque difficulté à s’adapter à la nouvelle situation. Pas facile d’hériter du trône quand on est encore un ado et qu’on vient d’achever ses études à la Guilde des assassins…
Vous voilà soudain responsable du lever du soleil comme de l’abondance des récoltes. Et les ennuis vous guettent : vaches grasses, vaches maigres, sphinx, prêtres fanatiques, crocodile sacrés et momies vagabondes. Sans compter que la Grande Pyramide a précipité le royaume dans une faille spatiotemporelle.
~ Les Annales du Disque-Monde, tome 7 : Pyramides, de Terry Pratchett – L’Atalante
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Premier tome plutôt « hors-cycle » dans ma redécouverte des Annales du Disque-Monde dans leur ordre chronologique de parution, ce fut une bonne lecture dans l’ensemble mais pour l’instant, malheureusement, l’un de ceux qui m’aura peut-être le moins marquée.

J’en retiens, au final, la même chose que pour le cycle de Rincevent : avant tout du pur divertissement, un humour qui fonctionne toujours, mais sans ce petit truc en plus qui rend l’écriture de Pratchett passionnante. L’auteur joue énormément avec le poids des traditions, de ces règles établies des millénaires auparavant et de ces mythes élaborés il y a plus longtemps encore et dont on a complètement oublié la signification (mais que l’on continue d’exploiter pour le pouvoir qu’ils apportent…). Il en profite également pour faire un beau pied de nez aux préjugés bien ancrés de la carte postale égyptienne antique : pyramides à perte de vue et sphinx énigmatique, servantes en petite tenue qui agitent des feuilles de palmier et dromadaires flegmatiques… Pourtant, j’ai presque trouvé que ces petites piques parodiques manquent de liant, parsemées comme elles le sont sur cet enchaînement de scènes plus rocambolesques les unes que les autres auquel on assiste. Ou peut-être n’étais-je tout simplement pas suffisamment réceptive à ce moment-là ?

Même si ce tome ne restera clairement pas parmi mes préférés, je retiens néanmoins un personnage principal vraiment agréable à suivre : Teppic, à mi-chemin entre l’apprenti assassin et l’héritier pharaonique, qui fonctionne très bien. Ce personnage et ses aventures sont d’ailleurs l’occasion pour l’auteur de nous plonger davantage au cœur d’Ankh-Morpork, une ville que j’aime beaucoup, mais également de nous faire voyager dans une région encore inconnue, inspirée de l’Égypte antique : le Jolhimôme. En sortant des cycles entamés jusqu’alors, Pratchett étend encore davantage son univers, qui prend vraiment de l’ampleur et de la densité au fil des tomes !

Ce fut donc une lecture plaisante malgré quelques défauts (qui n’en sont finalement que par comparaison avec les autres tomes), et j’ai hâte de passer au suivant, surtout qu’il s’agit d’un cycle que je ne connais pas encore et que je suis extrêmement curieuse de découvrir : le cycle du Guet d’Ankh-Morpork !

Terremer, cet univers extraordinaire

Terremer est un lieu magique et ensorcelé. Une mer immense recouverte d’un chapelet d’îles où les sorciers pratiquent la magie selon des règles très strictes. On y suit les aventures de Ged, un éleveur de chèvres qui, au terme d’une longue initiation, deviendra l’Archimage le plus puissant de Terremer, mais aussi celles de Tenar, haute prêtresse du temple des Innommables de l’île d’Atuan, de Tehanu, la fille-dragon, et de Aulne le sorcier qui refait chaque nuit le même rêve terrifiant. Autour de la grande histoire gravitent des contes qui enrichissent et explorent ce monde où enchanteurs et dragons se côtoient.
~ Terremer, de Ursula Le Guin – Le Livre de Poche
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Lorsqu’en raison d’une pandémie tout le monde fut invité à rester à la maison, j’y ai vu là l’occasion rêvée de dévorer cette intégrale rassemblant l’ensemble des textes d’un univers emblématique de la fantasy : il y a trois ans, j’ai commencé Terremer, d’Ursula Le Guin. Je n’ai finalement pas pu le dévorer aussi vite que prévu, et j’ai terminé la lecture des derniers textes tout récemment…

Tout au long de cette lecture qui se sera étalée sur plus de trois ans, j’ai pu découvrir un univers d’une densité extraordinaire : les différents textes nous font voyager loin, très loin, au nord, au sud, et par-delà même les limites du monde connu. On rencontre cet univers alors qu’il est tout jeune, et on le quitte bien des siècles plus tard, après être passé entre les mains de bien des hommes… L’autrice a magnifiquement bien rendu les différences entre les lieux et les époques, rendant cette profondeur d’univers d’autant plus tangible : les personnages que l’on suit ont des manières complètement différentes de voir le monde, ce que j’ai senti dans la narration même, ainsi que dans les réactions et les sentiments qu’elle insuffle à ses personnages de manière très crédible. On se trouve dans un univers classique d’epic fantasy, avec des sorciers et des dragons, mais que l’autrice est parvenue à emmener bien plus loin, proposant ainsi quelque chose de très novateur.

Au-delà de l’univers, c’est également par ses thématiques que Terremer se démarque des autres récits de son époque – et même encore aujourd’hui. On retrouve bien, par exemple, la classique quête épique pour empêcher la fin du monde, mais elle se teinte ici de la culpabilité d’en avoir déclenché la cause, et de l’apprentissage de la responsabilité. On y parle du passage de l’enfance à l’adolescence, puis à l’âge adulte et à la vieillesse ; de la manière dont on aspire à différentes choses en prenant de l’âge ; de la condition de la femme, de son rapport au monde, à la magie et aux hommes ; de la vie de couple, de la parentalité, de l’héritage ; des ténèbres du monde, des ténèbres en soi, du monde après la mort… Si le propos est le plus souvent épique, j’ai toujours retrouvé en filigrane de chacun de ces textes des thématiques profondément universelles, qui placent l’humanité au centre de chaque récit, et assoient là aussi l’originalité incontestée de Terremer.

Si j’avais un regret, il tiendrait à la narration particulière de l’autrice : elle raconte avec ton très grandiloquent, très beau et souvent poétique, mais de fait très imagé. Elle prend énormément de détours pour décrire un simple fait, et passe beaucoup de temps dans l’intériorité des personnages davantage que sur le déroulé des actions. Couplé au fait que la dernière moitié des récits, composée de nouvelles qui décrivent les premiers et les derniers temps du monde, ne suive pas du tout la chronologie de l’univers, je reconnais avoir été souvent perdue dans la grande fresque des événements de Terremer. Si j’ai apprécié ce que l’autrice a créé avec cet univers, je n’ai malheureusement pas réussi à être autant impliquée que je l’aurais souhaité en tant que lectrice.

J’ai néanmoins versé ma larmichette en refermant le livre d’un si vaste univers, et je suis curieuse de découvrir l’autrice hors de Terremer ; si vous ne l’avez pas encore découvert, je vous le conseille chaleureusement : c’est un monde tellement riche, nul doute que chacun.e saura y trouver son compte ! Et si vous l’avez lu, qu’en retenez-vous ? Par quoi me recommandez-vous de continuer l’œuvre d’Ursula Le Guin ?

Se perdre dans la Vorrh

La Vorrh est une forêt merveilleuse et effrayante. Tous ceux qui y pénètrent y trouvent soit la mort, soit l’oubli. Néanmoins, elle exerce une fascination quasi magnétique et un attrait irrésistible. On dit que le jardin d’Éden est dissimulé en son cœur. Personne ne l’a jamais explorée en entier, elle serait sans fin.
Pourtant, un homme a entrepris le périple. Un ancien soldat qui a tout abandonné pour suivre sa bien-aimée, Este. À sa mort, il a, suivant d’antiques rituels, emprisonné son esprit dans un arc et, écoutant ses murmures, s’est lancé sur la route…
~ Vorrh, de Brian Catling – Pocket
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Attirée par sa couverture presque hypnotique et son résumé particulièrement énigmatique, je me suis plongée dans Vorrh… Et quel voyage ce fut !

Il s’agit d’un roman profondément déconcertant, de la première à la dernière page : différents récits s’emmêlent, et les liens qui les relient se dévoilent très lentement, voire pas du tout (pour l’instant). Tantôt d’une poésie magnifique, tantôt bien plus violent, malaisant et parfois presque glauque, la narration traverse les extrêmes et toutes leurs nuances, pour donner corps à cette présence étrange de la Vorrh. L’atmosphère est brumeuse, pesante, étouffante, suffocante. Les repères sont absents, et la seule certitude est cette forêt mystérieuse, millénaire, où se terrent les légendes les plus envoûtantes. Les personnages gravitent autour, aussi subjugués et répugnés que les lecteurs, refusant d’y mettre un pied mais rêvant des pouvoirs qu’elle contient. D’ailleurs, dans tous les événements que l’on suit, quelle est la part de cette force mystique qui pèse sur la population, quelle est la part du simple esprit humain soudain dépourvu de toute limite ?

J’avoue avoir ressenti peu d’attachement émotionnel pour les personnages (bien que je soupçonne que ça ne soit pas l’objectif de l’auteur), et je regrette que finalement on n’entre qu’assez peu dans la Vorrh, qui demeure plutôt une présence pesante autour des personnages. Le récit avance lentement, très lentement, et de manière énigmatique, très énigmatique ; je n’ai pourtant pas pu m’empêcher de le dévorer, fascinée autant par la beauté que par l’horreur qui se déroulaient sous mes yeux. C’est le genre de lecture sur lequel il n’est pas vraiment possible de mettre des mots : amas de sensations, de questionnements parfois vains, c’est l’une de ces expériences de lecture indéfinissables et pourtant inoubliables.

Si vous cherchez un voyage littéraire hors du commun, qui vous emmènera loin, bien loin des sentiers battus, plongez dans celui-ci : quoi qu’il en soit, il ne vous laissera pas indifférent.e. Pour ma part, bien que la fin puisse se suffire à elle-même, je ne tarderai pas à lire les deux tomes suivants : de nombreuses questions demeurent encore sans réponses, et je n’ai pas fini de me laisser fasciner par cette forêt…

Aventures sur la mer : esclaves et liberté

Kyle, désormais aux commandes de la Vivacia, la vivenef récemment éveillée de la famille Vestrit, a décidé de l’utiliser pour transporter des esclaves. Et son impérieuse volonté ne saurait souffrir la moindre opposition. Son épouse Keffria en vient même à douter de son mari quand il veut débaucher leur fille Malta, et obliger leur fils Hiémain À travailler à bord de l’embarcation et à abandonner l’apprentissage qui le destinait à la carrière de prêtre de Sa. Sa belle-sœur Althéa, elle, se fait de son côté passer pour un jeune homme et se démène sur le Moissonneur, un navire abattoir, Elle doit prouver à Kyle qu’elle est un véritable marin pour récupérer Vivacia…
~ Les Aventuriers de la mer, tome 2 : Le navire aux esclaves, de Robin Hobb – J’ai Lu
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Perdu à Jamaillia, Hiemain s’apprête à affronter son destin. Dans sa fuite, l’apprenti prêtre va retrouver Vivacia pour subir avec elle les événements les plus douloureux de leurs jeunes existences. Son père, le capitaine Kyle, de plus en plus violent et humiliant, leste la vivenef d’esclaves, attirant les serpents de mer. Quant à Malta, elle entre progressivement en conflit avec ses aïeules et leur procure bien des tourments. Les Vestrit se déchirent de l’intérieur… Pendant ce temps, Kennit le pirate, affaibli et mutilé à l’issue d’un terrible abordage, sent la chance le quitter. Posséder une vivenef devient pour lui une priorité, un impératif audacieux mais quasi suicidaire…
~ Les Aventuriers de la mer, tome 3 : La conquête de la liberté, de Robin Hobb – J’ai Lu
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Si le premier tome de cette nouvelle série dans l’univers du Royaume des Anciens restait assez introductif, les deux suivants plongent dans le vif du sujet !

Côté personnages, je reste sur mes impressions du premier tome : je suis curieuse de voir Althéa se développer, j’ai cruellement envie de voir Hiémain retourner à la paix à laquelle il aspire, j’ai beaucoup de respect pour Ronica et une compassion grandissante pour Keffria. Malta n’est (pour l’instant, puisque j’ai comme le sentiment que l’autrice lui réserve une évolution hors du commun) qu’une adolescente gâtée, et Kennitt, de plus en plus détestable, m’intrigue beaucoup.

Alors que les personnages avancent tant bien que mal sur les chemins qui se tracent sous leurs pas, un tout nouveau pan de l’univers se dévoile, et je suis extrêmement curieuse d’en apprendre davantage : les vivenefs, quels êtres fascinants ! Parangon semble avoir une histoire aussi tragique que passionnante, et il me tarde de découvrir les événements qui ont abouti à ce personnage complètement brisé. Quant à Vivacia, quelles conséquences auront les violences et les drames de ses premiers mois sur son évolution ? Autant d’éléments qui me font tourner les pages frénétiquement !

Par contre, alors que j’arrive au troisième tome, je ne peux me défaire d’une très légère sensation de manque : la narration éclatée entre tous ces personnages ne fait qu’avancer très peu l’histoire générale, dont les enjeux sont de fait plus difficilement discernables. Si chaque personnage a ses propres aspirations, quelle est la finalité de l’ensemble ? Où tout cela est-il censé nous mener ? J’aime suivre ces aventures que nous raconte l’autrice, mais je ne peux me départir d’une sensation d’avancer « au jour le jour » qui atténue un peu l’envie irrépressible d’avancer dans l’histoire. Je me doute cependant que les intrigues vont acquérir en densité et en profondeur, j’attends donc de voir ce que vont donner les tomes suivants !

Et vous, si vous avez lu l’Assassin Royal et les Aventuriers de la Mer, quelle série préférez-vous ?

La lyre qui ne sonna et le glaive qui ne frappa : diseur de déception

Depuis l’accession au pouvoir du hartl Skilf Oluf’ar, la paix règne et la commanderie du Solkstrand prospère.
Lorsqu’on lui refuse le passage d’un pont parce qu’il ne peut s’acquitter du péage, Kelt prédit l’effondrement de la construction. Ainsi sont les diseurs de mots : ils possèdent de drôles de dons, jamais ils ne mentent et, affirme-t-on, leurs vérités ensorcellent.
Arrêté et livré aux geôles du seigneur local, Kelt doit démontrer son innocence lors d’une ordalie. Hòggni, un mercenaire en mal de contrats, accepte de le représenter puis remporte le duel. Toutefois, vexé de sa défaite, le seigneur les missionne alors au Heldmark, où le culte d’un dieu unique se répand plus vite que la peste…
~ La Lyre et le glaive, tome 1 : Le diseur de mots, de Christian Léourier – J’ai Lu
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Alors qu’il se languissait dans ma pile à lire depuis des années, j’ai pu finalement l’en sortir à l’occasion d’une lecture commune avec Olive Oued ; et si je suis ravie d’avoir partagé cette découverte avec elle, je suis moins convaincue par le roman lui-même…

Le résumé me promettait un récit original et prenant, où le langage est central et où chaque mot est capable d’influer sur les événements : j’ai été déçue. Au final, le roman propose quelque chose de complètement différent, si bien qu’aucune de mes attentes n’a vraiment été satisfaite. Plus qu’une histoire centrée autour du personnage de Kelt, on assiste surtout à une guerre qui ne concerne que très peu le fameux Diseur de mots : il suit donc les événements de manière passive, balloté çà et là par un roi qu’il n’a pas vraiment de raison de suivre et un hasard bien pratique pour la narration. Les secrets que cache Kelt sont complètement relégués en arrière-plan, et n’ont plus aucune incidence une fois révélés ; de même que cette magie étrange dont il semble faire preuve, qui se révèle surtout pour déclencher un ou deux retournements de situation.

Il y avait pourtant des éléments prometteurs. Une fois mes repères pris (ce qui a mis un peu de temps du fait d’un vocabulaire très spécifique et peu expliqué, ce qui n’a par contre rien de surprenant en fantasy), j’ai apprécié la densité de cet univers, et ses colorations nordiques. J’ai également eu beaucoup d’affection pour Hòggni, personnage profondément attachant à la culture très intrigante, et Varka, femme que l’auteur désigne comme forte sans le faire réellement transparaître par des faits, et qui pourrait apporter beaucoup plus de profondeur au récit si elle servait moins souvent de faire-valoir à Kelt…

Je ne pense donc pas prendre de le temps de conclure cette duologie : ce premier tome m’a trop peu embarquée, et bien d’autres lectures m’attendent déjà sur mes étagères… Je suis d’autant plus déçue de n’avoir pas accroché qu’il a reçu un prix à sa sortie et que j’en ai vu de très bons retours ! Je vous invite donc à vous faire votre propre avis si ce roman vous intrigue, et si vous l’avez déjà lu, je suis curieuse de savoir ce que vous en avez pensé.